10 leçons à retenir du docu-série « #lovearmy : Où es-tu Jérôme ? »

Le 20 mars 2024 est sorti le docu-série « Love Army : Où es-tu Jérôme ? » sur Amazon Prime. Un docu-série en 5 épisodes retraçant l’aventure de la « Love Army« , un mouvement créé par le célèbre influenceur Jérôme Jarre, dont le but était de soutenir notamment le peuple Rohingya, réfugié au Bangladesh.

Ce docu-série fut suivi d’une interview dans l’émission de Canal + « Clique »où Jérôme Jarre a fait part de ses remarques.

Travel With A Mission est une association à but non lucratif dont l’objectif est de favoriser l’engagement citoyen et la réalisation de projets d’intérêt général. Nous accompagnons parfois des célébrités (comme par exemple le footballeur Fethi Harek sur un projet en Algérie, dont le projet avait été récompensé aux trophées UNFP) et influenceurs (comme par exemple Alex Vizeo via le film « Premiers Pas vers un voyage engagé« ). Nous avons par conséquent été particulièrement intéressés par ce docu-série (malgré certains points nous ayant dérangé) et souhaitions vous faire part des 10 leçons que nous en ressortons. Cela dans un but constructif pour ceux souhaitant agir.

1.Bien choisir les partenaires sur le terrain ou passer par un professionnel (comme Travel With A Mission)

Le monde de l’humanitaire est très compliqué. Il y a dans l’écosystème des milliers d’associations. Certaines très bonnes, d’autres moins bonnes. D’autres de véritables escroqueries à éviter.

Trouver les bons partenaires avec qui travailler est un gros défi et les erreurs sont faciles car les façades sont parfois belles mais la réalité l’est parfois moins. Certaines associations sont très politisées. D’autres sont dans le prosélytisme religieux. D’autres sont corrompues, etc. C’est notre travail quotidien de faire ce tri.

Le teaser du docu-série laisse penser que Jérôme Jarre est un escroc et cela ne nous a pas plu car il semblerait que la totalité de l’argent récolté ait bien été reversée à des ONG. Il semblerait même qu’il ait mis de son argent personnel pour payer des frais selon son interview. Il n’est donc en rien un escroc. Il a cependant visiblement mal choisi les ONG avec qui travailler si l’on se fie aux révélations du documentaire. Il est peut-être bisounours, candide, peut-être naïf mais pas escroc.

Il est important aussi de bien cadrer les obligations des uns et des autres. Dans le documentaire, on voit l’ARC, OBAT et la Love Army se rejeter la responsabilité des échecs. Bien cadrer les actions est indispensable.

2. S’inscrire autant que possible dans un programme existant

Dans le docu-série, on aperçoit Jérôme rencontrer par hasard une responsable de l’ONG « Première urgence internationale » qui s’étonne que la love Army ne soit pas présente aux réunions de coordination de la gestion du centre.

En règle générale, ce sont des agences onusiennes qui assurent la coordination des actions dans ce genre de centres de réfugiés. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés fait un travail remarquable et il convient de les contacter et de travailler autant que possible avec eux, sinon les associations se marchent dessus et ce n’est positif pour personne. Dans d’autres situations, l’UNICEF peut jouer ce rôle de coordinateur ou des ONG internationales reconnues.

3. Commencer petit

Lorsqu’on souhaite mener un projet d’envergure, il est important de faire des tests, des projets pilotes qui doivent servir de référence avant duplication.

Dans le docu-série, le test avec OBAT de 600.000 USD semble énorme. Il faut avancer pas à pas avec des milestones.

Suivre l’utilisation réelle des fonds est une chose très compliquée et chronophage.  

4. Direct cash – Attention à l’assistanat !

Le « Direct cash » est promue dans le documentaire comme LA solution. L’équipe TWAM est très réservée sur ce sujet.

Oui, en situation d’urgence alimentaire comme en Somalie, cela peut être approprié. Mais pas dans d’autres circonstances.

Favoriser le « Direct cash », c’est favoriser l’assistanat qui est un poison, aussi bien en France qu’à l’étranger.

Il faut favoriser l’effort, la sueur, les activités génératrices de revenus.

Après le tremblement du 12 janvier 2010, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a mis en place un programme « Argent contre travail » (cash for work) qui avait permis de relancer l’économie locale et de rémunérer plusieurs dizaines de milliers d’Haïtiens. Ce modèle nous semble plus pertinent.

5. Anticiper, ne pas travailler dans l’urgence

Le docu-série montre une désorganisation dû à un travail fait dans l’urgence, avec trop peu d’anticipation. L’un des influenceurs dit avoir été contacté 4 jours avant son départ… Faire de tels projets se prépare…

Jérôme a menti à France 2 du fait de sa précipitation. Tout le monde aurait compris qu’il réponde que l’humanitaire prend du temps et que les résultats viendront peu à peu. Erreur de jeunesse sans doute… Pas évident de mener de tels projets seul quand on a moins de 30 ans.

6. Penser long terme et pas court terme

Le docu-série montre Jérôme souhaitant quelque part dépenser son argent au plus vite afin de pouvoir donner des nouvelles de son utilisation au plus vite.

Si cela peut se comprendre, ce n’est pas compatible avec le monde de l’humanitaire où il faut penser long terme plutôt que court terme.

Une fois de plus, la clé dans le monde du développement sont les AGR, les activités génératrices de revenus et il en est trop peu question dans le documentaire. Le témoignage du Rohingya à la fin est particulièrement poignant. Il pleure qu’il fut aidé un moment et que tout est terminé à présent. On lui a donné le poisson plutôt que de lui apprendre à pêcher !

Attention aussi aux promesses qui ne peuvent être tenues !

Penser long terme, c’est aussi avoir une équipe. Avoir une seule personne gérant tant d’argent n’est pas raisonnable. Il était obligé de craquer.

7. Adopter une bonne stratégie de levée de fonds

Au-delà de l’urgence, la stratégie de départ de récolte de fonds s’est avérée un gros échec.

La scène des influenceurs réunis dans une petite salle cherchant à ce que les entreprises et gouvernements se mobilisent dans l’urgence est assez lunaire.

La réponse du Président Erdogan (sans entrer dans la polémique du personnage et des valeurs qu’il défend) est tout ce qu’il y a de plus normale. Un gouvernement donne via son agence de développement (appelée aussi coopération internationale), jamais en direct. Il ne lui a pas fait « à l’envers » comme il le dit. Obtenir des fonds d’une agence de développement prend des mois et demande de remplir de gros dossiers de plusieurs dizaines de pages. C’est la même chose pour l’Agence Française de développement (AFD), USAID (Agence des Etats-Unis) et toutes les autres…

Les entreprises, elles-aussi, ont généralement besoin de temps pour se positionner.

Heureusement, leur deuxième stratégie d’approche aux individus s’est révélée bien plus efficace. Bravo pour celle-ci ! Très impressionnant !

8. Attention aux critiques des ONG et du monde de l’humanitaire

Oui, comme indiqué dans le point 1, il y a à boire et à manger dans le monde des ONG et il faut être prudent dans ses choix. Attention cependant à ne pas trop les critiquer, leur travail est extrêmement difficile et il est indispensable d’avoir des professionnels. Et cela a un coût !

Jérôme s’est fait un peu secouer à Davos par le directeur de la banque mondiale qui appréciait son énergie mais qui lui a rappelé qu’ils ne sont pas tout à fait débutants…

Faire preuve d’humilité dans le monde du développement est indispensable, même si on veut faire bouger les lignes…

9. Chercher les solutions locales

Un bon point pour la love army, Jérôme a cherché à employer à l’intérieur du camp même si les compétences étaient moindres qu’en employant des bangladais. C’est un challenge supplémentaire car cela implique de faire monter en compétence mais c’est à notifier. Difficile de savoir si cette montée en compétences fut bien réalisée…

Il a aussi cherché à acheter les denrées alimentaires en Somalie plutôt que les faire venir en avion (après une erreur au départ, 1 seul avion de Turkish airlines fut finalement affrété alors qu’ils pouvaient en avoir 8). Quand on achète localement, on fait une double bonne action : on met de l’argent dans l’économie locale en plus de l’aide apportée aux populations vulnérables.

10. Célébrer les victoires, pas seulement les erreurs

Ce docu-série a des vertus pédagogiques et c’est pour cela que nous avons souhaité réagir afin qu’il soit constructif. C’est quelque part un cas d’école à étudier.

Il ne met cependant pas, ou très peu, en avant des belles actions qui ont été réalisées et il y en a sans doute eu beaucoup. Bravo à Jérôme pour cela malgré les quelques erreurs « de débutant ».

Il convient donc d’avoir un regard éduqué sur ce documentaire en appréciant aussi bien les aspects positifs de cette action de ceux qui doivent être améliorés.

Il ne faudrait pas que ce documentaire décourage l’engagement ou les dons à des associations qui ont déjà du mal à en récolter.

Nous attendons avec impatience le documentaire de Jérôme Jarre qui doit arriver…

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